Regards croisés sur la réforme de la formation et la certification Qualiopi

Dans les précédents numéros 79, puis 87 de la revue, nous avons abordé par la question de la qualité en formation au travers de la Loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » qui consacre la qualité avec la certification Qualiopi, bien connue à présent. Dans ce numéro, nous reprenons le fil des témoignages d’acteurs de la formation pour faire un nouveau point d’étape alors que toutes les dispositions prévues par la loi sont entrées en vigueur.
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Olec
Olec Kovalevsky

Depuis septembre 2018 avec la Loi pour « la liberté de choisir son avenir professionnel », le secteur de la formation vit au rythme des règles et dispositions découlant de la loi.

La Qualité fait partie de ces dispositions, en particulier avec l’obligation, depuis le 1er janvier 2022, faite aux organismes de formations et acteurs du développement des compétences d’être certifiés selon le référentiel baptisé « Qualiopi ».

Le secteur de la formation est dynamique et prolifique : environ 100 000 organismes sont administrativement déclarés et parmi eux 70 000 ont une activité régulière. Pour autant, au 31/12/2021 les organismes de certification dénombrent environ 27 500 organismes certifiés. Il est donc légitime et objectif d’en conclure que tous les organismes de formation, notamment les professionnels indépendants, n’ont pas tous franchi ce cap.

Ayant moi-même déclaré un organisme de formation depuis 1997, faisant de moi ce que l’on nomme habituellement un consultant formateur indépendant (CFI), je me sens particulièrement concerné et même impliqué par les évolutions professionnelles dans le secteur de la formation.

En 2019 et 2020, nous avons traité du sujet de la réforme dont la mise en œuvre était encore en partie spéculative et dont personne encore ne savait si elle serait couronnée de succès ou pas.

En ce début 2022, j’ai souhaité faire un point d’étape avec des acteurs de la formation professionnelle, pour évoquer notamment les CFI et leur devenir dans le paysage de la formation continue :

  • Madame Nadia Hadjeri , Directrice de la formation, Groupe Cadres en Mission ;
  • Monsieur Philippe Scelin, directeur d’organismes de formation et Vice-Président de la Fédération les Acteurs de la Compétence et Président du groupe régional Normandie de la fédération ;
  • Monsieur Philippe Bourdale, Responsable du pôle Formation Professionnelle chez AFNOR Certification.

Aves ces acteurs nous avons exploré trois sujets, listés ci-après, dont nous partageons nos échanges.

  • Constat global de la mise en œuvre de la Loi du 5 septembre 2018 et en particulier sur Qualiopi ,
  • Les effets de la Loi, déployée en situation de pandémie, en particulier pour les CFI,
  • Les tendances du marché de la formation, du développement des compétences et la place des CFI.

La réflexion s’intéresse aux indépendants et aux CFI dans le monde de la formation et leur devenir dans les années futures. Ce statut a attiré et continue d’attirer de nombreuses personnes, de tous les âges et de toutes professions, tentées par le statut d’indépendant ou d’auto-entrepreneur, en expansion depuis environ 20 ans pour le premier et un peu plus de 10 ans pour le second.

A la fois pour ces CFI eux-mêmes mais plus largement pour l’ensemble des acteurs de la formation professionnelle continue partenaires institutionnels (pouvoirs publics, collectivités territoriales …), partenaires économiques (entreprises, salariés, organismes de formation …) et partenaires sociaux (organisations professionnelles et syndicales …) nous partageons les bilans et réflexions des trois témoins qui ont vécu de l’intérieur la récente réforme de la Formation professionnelle. Les éclairages qu’ils apportent, explicitement ou entre les lignes, peuvent orienter les choix d’acteurs de terrain de la formation que sont les CFI !

Constat global après mise œuvre de la Loi et de Qualiopi

Philippe Scelin, directeur d’organismes de formation et Vice-Président de la Fédération les Acteurs de la Compétence et Président du groupe régional Normandie de la fédération 

Philippe Scelin, au nom des Acteurs de la Compétence (ACT), souligne le succès de la réforme sur deux points majeurs :

  • L’apprentissage tant sur le plan quantitatif que qualitatif :  700 000 jeunes inscrits dans cette voie fin 2021 et un mode de formation de certification et d’insertion qui se généralise à tous les niveaux de formation.
  • le CPF ayant permis à 2,5 millions de personnes de se former depuis 2 ans alors qu’en 2017, on ne comptait que 415 000 personnes bénéficiaires. Cette bonne nouvelle collective mérite que l’on s’en félicite malgré le sujet polémique des fraudes en voie de résolution.

Il note cependant une difficulté persistante concernant le volume de formation des salariés des PME (3 millions de salariés dans les entreprises de moins de 50 personnes) qui n’a pas augmenté bien au contraire malgré une contribution nette des PME de 1,2Mds d’euros au financement du système et malgré le FNE élargi.

Nadia Hadjeri , Directrice de la formation, Groupe Cadres en Mission.

Nadia HADJERI quant à elle, au nom de Cadres en Mission, pointe le caractère « révolutionnaire » pris par la formation sur plusieurs aspects : 

  • L’accent sur le développement des compétences des apprenants afin de répondre à la réalité socioéconomique : effets de la mondialisation sur les organisations, développement des technologies de l’Information, digitalisation et transformations du monde du travail, évolution des techniques de management, aspirations des salariés à la lumière de la pandémie …
  • Le cadre institutionnel imposé par l’Etat modifiant les fonctionnements et outils antérieurs et obligeant les acteurs, notamment les organismes de formation, les ingénieurs de formation, les consultants formateurs à repenser leurs missions de transmission de savoirs et de savoir- faire en intégrant les nouvelles règles telles que celles découlant de l’obligation de certification unique.

Philippe Bourdale, Responsable du pôle Formation Professionnelle chez Afnor Certification

Philippe Bourdale, au nom d’Afnor Certification, replace le mécanisme de certification imposé par la Loi du 5 septembre 2018 dans le contexte de la désintermédiation du secteur de la formation professionnelle et de l’accompagnement du développement du Compte Personnel de Formation.

Il souligne, à l’instar de Nadia Hadjeri, la révolution opérée par les pouvoirs publics qui pour la première fois dans la régulation d’une politique publique font entièrement confiance à des acteurs tiers et à la certification. L’instauration de modalités, de principes de transparence, d’impartialité, de responsabilité, exercés par des organismes certificateurs, contrôlés par une autorité unique, le Cofrac, constitue une rupture importante par rapport aux précédentes réformes et aux évaluations des organismes conduites par les financeurs.

Au vu des 27 500 organismes certifiés au 31 décembre 2021, on peut considérer que les organismes se sont globalement mis en ordre de marche pour être conformes, signe que la professionnalisation des acteurs est en cours.

Concernant Qualiopi, Philippe Bourdale, fait les constats suivants :

  • Le référentiel a permis de définir un standard minimum pour les différentes catégories d’actions concourant au développement des compétences (actions de formation, Bilans de compétences, VAE, Apprentissage), permettant de faire progresser certains organismes et d’harmoniser les conditions de présentation et de réalisation de l’offre de formation professionnelle au niveau national, dans l’intérêt des bénéficiaires et des entreprises.
  • Des ajustements semblent néanmoins nécessaires, notamment pour bon nombre d’organismes déjà engagés dans la qualité pour qui le référentiel n’a pas apporté de plus-value significative, hormis sur quelques points comme l’attention aux personnes en situation de handicap, et qui perçoivent QUALIOPI comme une contrainte réglementaire et administrative.

Pour Philippe Scelin, au nom des adhérents de la FFP (Fédération de la Formation Professionnelle devenue Acteurs de la Compétence), Qualiopi est utile mais n’est pas un aboutissement : 

  • Le déploiement de Qualiopi est une bonne chose et nous y avons travaillé avec les pouvoirs publics. La FFP y travaille depuis 30 ans et la qualité est son ADN et dès l’été 2021, la quasi-totalité de nos adhérents avaient obtenu la certification ou étaient dans la dernière ligne droite.
  • Il reste à s’assurer que seuls les centres de formation de qualité peuvent obtenir le précieux sésame. Nous restons vigilants et nous souhaitons installer un groupe de travail pour faire un état des lieux de son déploiement et proposer des pistes d’amélioration, notamment pour une prise en compte de la diversité des structures (CFA, distanciel, etc.)

Cadres en Mission a vécu positivement la démarche Qualiopi, comme avant elle le référencement Datadock et la certification ISQ-OPQF. Cela a permis une mobilisation des consultants formateurs sur l’ingénierie de formation et l’ingénierie pédagogique ainsi qu’un renforcement du contrôle interne des actions de formation, pour un bénéfice observable sur la qualité des actions de formation dispensées.

En interne, Nadia Hadjeri, relève les enseignements suivants :

  • Avec Qualiopi, la reconnaissance professionnelle de nos Organismes de formation a indéniablement renforcé la co-responsabilité et l’engagement des Consultants Formateurs sur l’approche pédagogique et sur les enjeux de l’individualisation des parcours et l’accompagnement au développement des compétences mobilisables en situations professionnelles.
  • La nécessaire professionnalisation des Consultants Formateurs en termes de conseil, d’audit et d’accompagnement de l’entreprise sur des projets sur mesure, de pédagogies innovantes, de formations en situation de travail avec des plans d’action individuels (cf. encadré).

Les effets de la Loi, déployée en situation de pandémie, en particulier pour les CFI

Nos trois témoins pointent ensemble une évolution majeure, accélérée par la période de pandémie, mais déjà présente ou émergente : l’hybridation des modalités pédagogiques entre distanciel et présentiel et par voie de conséquence, la nécessaire montée en compétences des formateurs, indépendants ou salariés, sur les plans de la pédagogie et de la technique associées aux nouveaux outils numériques.

  • Philippe Scelin souligne également l’intérêt commun des organismes de formation adhérents à la fédération ACT et les CFI à réfléchir ensemble et à établir des partenariats pour être encore plus efficients sur l’ensemble des segments du marché de la formation et au plus près des territoires au sein des régions.
  • Du côté d’Afnor Certification, Philippe Bourdale, rappelle les nombreuses inquiétudes formulées lors de la promulgation de la Loi de 2018par les formateurs indépendants. Il constate aujourd’hui que globalement, ces formateurs indépendants expriment davantage une satisfaction de voir des règles fixées, communes à tous pour éviter les dérives. Il constate aussi qu’il n’y a pas à proprement dit de changements significatifs dans les pratiques professionnelles, sauf sur le plan organisationnel, Qualiopi ayant accéléré l’évolution du secteur. Ainsi, certains acteurs à se mettent en portage salarial, d’autres s’associent à plusieurs ou se rapprochent autour de nouveaux modèles organisationnels (CAE …).

Les tendances du marché de la formation, du développement des compétences et la place des CFI

Pour les Acteurs de la compétence, la période actuelle est caractérisée par :

  • Des dynamiques de coopération et de partenariat, par exemple entre ACT et le SYCFI(1) (Syndicat des consultants formateurs indépendants) qui travaillent ensemble au niveau de la branche professionnelle de la formation
  • Une forte incitation des pouvoirs publics à proposer des formations certifiantes et diplômantes permettant une reconnaissance des acquis de la formation ce qui favorise l’employabilité ainsi que la mobilité professionnelle interne et externe.

Cette dernière tendance faisant la part belle aux formations certifiantes de doit pas faire oublier le travail en amont de la qualification, tout aussi important, centré sur l’accompagnement des personnes pour la construction de leurs projets professionnels.

Au niveau de Cadres en Mission, la perception identifie également des évolutions des besoins auxquelles les formateurs indépendants peuvent contribuer à répondre.

Les entreprises font face à des difficultés de recrutement, à des métiers en tension au niveau local et national, et doivent relever les défis des compétences, du management d’équipe à distance, du commerce à distance, toutes actions nécessitant un fort investissement de formation et d’adaptation aux postes de travail.

Dans ce contexte, les consultants formateurs indépendants, agissant aux différentes étapes depuis le diagnostic jusqu’à l’identification des priorités d’accompagnement et de formation puis dans la réalisation des actions de développement des compétences, peuvent répondre aux besoins individuels de l’entreprise. Pour ce faire, les consultants formateurs devront renforcer leurs propres compétences sur les métiers auxquels ils forment ainsi que sur leurs pratiques pédagogiques et technologiques.

Le portage salarial peut contribuer au financement de la formation des consultants formateurs pour développer leurs compétences (cf. encadré).

Le pas permettant de répondre aux besoins collectifs des entreprises implique aussi des moyens techniques et financiers ainsi que la capacité à mobiliser des équipes pluridisciplinaires contribuant à la réussite des projets de formation. Peut-être est-ce là l’un des défis à relever par les consultants formateurs indépendants, par exemple au travers de partenariats existants ou à créer ?

(1) Le SYCFI a été contacté pour participer à ces regards croisés mais compte tenu d’un calendrier trop serré n’a pu donner suite.

Conclusions et prochains défis

La formation professionnelle est au cœur du droit du travail rappelle Philippe Bourdale. Outil au service de l’évolution des compétences et des métiers en tension que connaissent les entreprises et notre pays, le système Formation doit désormais être amélioré.

Ainsi la fraude au CPF doit être jugulée pour que chaque individu puisse avoir confiance dans le CPF et ose développer/acquérir de nouvelles compétences. Dans tout cela, la Qualité est essentielle, avec le virage enclenché avec la réforme de 2014. La qualité constitue désormais un axe nécessaire, qui ne pourra être écarté à l’avenir, et cela dans l’intérêt des salariés et des demandeurs d’emploi.

Cadres en Missions se projette sur une prochaine réforme de la formation professionnelle qui pourrait être orientée selon les axes suivants :

  • Un CPF rattaché à un parcours professionnalisant afin d’éviter une utilisation sans accompagnement, donnant certes la liberté de choix mais aussi celle de se tromper. Peut-être faudrait-il réfléchir sur des modalités de parcours de carrière permettant au bénéficiaire de construire sa carrière en fonction des besoins et attentes de l’entreprise mais également de l’évolution des métiers, compétences et technologies.
  • Le renforcement des modalités de formation multimodales au service des entreprises, intégrant l’appui conseil, l’accompagnement, des parcours de formation en présentiel et à distance.
  • Le développement de l’alternance, une réussite constructive d’un parcours professionnel certifiant. Avec, concernant l’irrésistible essor de la certification des formations, la nécessité d’en simplifier l’organisation et d’améliorer les procédures.

Pour les membres de la fédération Acteurs de la compétence, trois enjeux sont à relever :

  • Mieux valoriser et encourager l’investissement dans les compétences en améliorant la rencontre entre la dynamique individuelle des actifs et les besoins en compétences des entreprises sur les territoires ;
  • Donner de la visibilité et de la stabilité au système Formation mis en place ;
  • Simplifier les procédures pour un meilleur accès à tous et pour favoriser l’innovation.

La fédération ACT porte des propositions dans le débat public. L’objectif n’est pas d’avoir un nouveau big bang de la Formation mais de consolider ce qui a marché dans la Loi 2018 et de rectifier ce qui n’a pas fonctionné, en premier lieu la formation des salariés et notamment des PME.

Enfin, pour conclure, Philippe Scelin appelle de ses vœux que les prochaines évolutions soient coconstruites avec l’ensemble des parties prenantes et se fasse dans un calendrier permettant aux acteurs d’anticiper.

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Olec Kovalevsky – Réseau Qualité TPE PME
Consultant-formateur, gérant d'Avantage Qualité et membre fondateur du réseau Qualité TPE-PME
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